Mohamed Ben Slama
La Naissance Du Monstre

19 septembre 2024 – 17 janvier 2025
La Boîte I Un lieu d’art contemporain

[…] Évidemment ils causaient de moi et ils célébraient ma captivité. Des singes gambadant, des satyres bouffons semblaient s’amuser de cette prisonnière étendue, condamnée à l’immobilité.
Mais toutes les divinités mythologiques me regardaient avec un charmant sourire, comme pour m’encourager à supporter patiemment le sortilège, et toutes les prunelles glissaient dans le coin des paupières comme pour s’attacher à mon regard. 
Charles Baudelaire, Le Théâtre de Séraphin. 

 

Depuis les premiers tableaux qu’il a peint à l’âge de quatorze ans, Mohamed Ben Slama ne s’est jamais départi de son imagerie populaire. La composante ironique qu’elle instille dans sa peinture s’accorde aux sujets contemporains qu’il traite, tout en marquant une distance avec leur contexte socio-historique. Et pour cause, les sujets abordés par Ben Slama se répètent, ils composent la chair de notre humanité.  Depuis combien de temps l’humain a-t-il rendu inhabitable le monde qu’il a produit ? Ben Slama aime à dire de ses tableaux qu’ils sont ses « apocalypses ». Ses parodies picturales de « La Révélation » rappellent que l’idée de vérité n’est valide que si le mensonge est au pouvoir.
Les événements politiques et sociaux sont un théâtre social rythmé par des séquences narratives de dévoilement et de revoilement. Quel sens il y aurait-il à produire autant d’intrigues sans le concours d’un public captivé par ce qu’il voit, toujours prompt à réagir ? Ben Slama le sait bien, aussi a-t-il choisi d’encastrer plusieurs de ses tableaux dans des petits castelets pourvus de rideaux mécaniques ne s’ouvrant jamais tout à fait, pour ne pas rompre le sortilège hypnotique de ce qui ne se fait voir que partiellement.
C’est également au seul son produit par les pas des visiteurs que s’ouvrent les volets d’un grand triptyque intitulé La naissance du monstre. Tout comme la Vénus peinte par Botticelli, le monstre attend qu’on le regarde pour apparaître : autour d’une grande prêtresse ventriloque, une armée de personnages s’est rassemblée pour l’écouter, la défendre et la célébrer. Mais un grand désordre trahit la crédibilité de cette garde rapprochée. Leurs montures, leurs armes et leurs uniformes dépareillés font écho à la prêtresse ventriloque dont l’identité passe d’un corps à un autre, sans jamais se fixer. Qui est le monstre ? Dans quels corps se loge-t-il ? Qui sont ses intercesseurs, dirait Deleuze, la bêtise n’étant jamais aveugle ni muette ? Chez Ben Slama, la puissance ou l’hypocrisie du collectif est souvent interrogée. Ses compositions articulent des figures archétypales au travers desquelles se distribuent des rôles séculaires et se reforme le théâtre social. Les relations entre individus, la loi et l’interdit, la norme et le tabou, les jeux de la séduction et du pouvoir travaillent de toute part ces spectacles tragi-comiques en attente de dénouements.  

Marguerite Pilven
Historienne de l’art et philosophe