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Fakhri El Ghezal
«I was a prisoner in your skull»
Décembre 2016 I Mars 2017
La Boîte I Un lieu d’art contemporain
Révélation, révélabilité : c’était toujours une affaire de lumière. D’une manifestation par la lumière et dans la lumière. Cela –un secret, un mystère, un sens caché- accède à la lumière du jour ou du laboratoire, et s’offre à une garde partagée. Mais alors, au moment même où il s’offre à la vision générale, la lumière qui l’a montré se fait invisible, se retire, par ruse ou par respect, afin que se dessinent les contours de la manifestation.
Les photographies de Fakhri El ghezal n’essayent peut-être que de montrer cette lumière révélatrice elle-même. Elles pointeraient vers le processus même de révélation. Et donc vers l’invisibilité derrière toute visibilité. Des traces révélées de la révélation elle-même, dans la violence de son apparition.
Violence ? Blessures nécessaires à toute exposition d’un dedans comme d’un dehors. La lumière recueillie ici par le photographe tombe comme une foudre sur l’âme et les paysages et les arrache à leur latence. La quiétude des paysages et des moments captés est troublée par la vibration d’une lumière presque intrusive, qui n’arrive du coup à montrer que pour mieux cacher ce qui est à voir.
Voyez comment dans les œuvres (ou les visions) de Fakhri El Ghezal le grain sème clarté et obscurité à la fois. Comme si la photographie ne se fonde pas sur un moment capturé, ni ne reflète un état défini, mais bien se montre à partir d’un jeu à jamais incessant entre intrusion luminaire et obscurité pudique. Une auto-bio-photographie inscrite par un agencement d’un désir d’exhibition (de soi et de son monde) d’une part, et un retrait ou recul d’autre part. Entre la parole et le silence : d’ailleurs, les photographies de Fakhri El Ghezal parlent par leur silence.
Il n’y a pas que le noir qui dissimule. L’excès de lumière cache bien aussi. Ceci nous le constatons vite devant les séquences photographiques. A être surexposés, des contours se dissipent, et la lumière va jusqu’à brûler le réceptacle dans lequel elle devait s’établir. La lumière, comme l’esprit et en tant qu’esprit, porte en elle cette ambiguïté fondamentale : elle peut annihiler ce à quoi elle donne vie, elle peut obscurcir ce qu’elle manifeste. Violence de la lumière ? Violence de l’esprit ?
Et si on pensait la mémoire comme une révélation photographique ? Si tout souvenir devrait être révélé comme une photographie ? Avec cette hésitation éternelle entre manifestation et obscurcissement ? Que serait une mémoire surexposée ? Une mémoire cadrée et recadrée ? L’œuvre de Fakhri El Ghezal sans doute nous donne à penser cela. La mémoire révélée à soi et aux autres, ne peut apparaitre sans souffrir de tout ce que souffre l’image dans son apparition dans la lumière.
« I was a prisonner in your skull » (J’étais un prisonnier dans ton crâne) : un titre de chanson qui reflète autant la mémoire que la photographie. Comme un événement de lumière enfermé aussi bien dans l’esprit que dans le boîtier (le film) de l’appareil photographique. Autant de blessures et de brûlures, autant de traces qui se montrent et se cachent. S’exhibent et se gardent. Se donnent aux regards dans un jeu de lumière qui ne montre que pour mieux préserver. Une mémoire qui se chante entre silences et cris. Un poème de la lumière.
Arafat Saadallah
« Fakhri El Ghezal (1981), photographe à l’origine d’images sibyllines, cultivant à dessein « l’inquiétante étrangeté », le Unheimlich, opte pour ce type d’accueil, sans euphorie a priori. « Es ist so », « c’est ainsi », comme le relevait Hegel, il convient donc de faire avec la phénoménologie du réel, quelque forme qu’elle prenne. El Ghezal, pour La Boîte, développe l’œuvre sérielle I-Was-A-Prisoner-In-Your-Skull
(« J’étais un prisonnier dans ton cerveau »), l’équivalent d’un récit biographique à épisodes. Cet ensemble de photos N & B ou couleurs, autant de Séquences, selon les termes mêmes de l’artiste, est un parcours de vie. Séquence A#1 : la vue d’un paysage d’arbre sous le ciel le long d’une route, effet nébuleux et crépusculaire. Séquence A#4 : la vue d’une route qui s’enfonce dans le brouillard. Séquence A#8 : la vue de la partie haute d’un minaret se détachant sur un ciel lavasse. Séquence B#2 : la vue de chaises alignées par rangées, comme pour un
spectacle, devant une maison, mais recouvertes de housses, non appelés à servir dans l’immédiat. Séquence D#1 : la vue du bras nu et tendu de l’artiste, de façon vraisemblable, qui s’est photographié lui-même, sans rien autour. Séquence D#4 : la vue d’une route vide qui s’enfonce dans un paysage arboré, au crépuscule… Séquence E#1 : de nouveau la vue du bras de l’artiste, mais cadré d’une façon différente… Chaque «séquence», une image photographique toujours sobre, est ici un moment de présence à l’ordre des choses, une coupe dans le temps personnel. Le critique d’art et commissaire d’exposition Arafat Sadallah, avec justesse, parle d’« auto-photo-biographie ». Les images-traces de Fakhri El Ghezal sont des indices, le signe d’une présence, une succession d’épisodes existentiels dont l’historicité est indéniable, éprouvée, ressentie, rien d’extraordinaire ne se passerait-il. »
Paul Ardenne