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Nabil Saouabi
«Le temps scellé»
Mars 2019 I Mai 2019
La Boîte I Un lieu d’art contemporain
Voir dans le cinéma des possibilités d’images picturales…
Saisir une brèche et figer le temps dans une œuvre cinématographique, la décoder, la recoder pour révéler une image matricielle à travers les moyens picturaux.
Agencer un espace, un milieu où peinture et cinéma se contaminent et résonnent dans une image hors du temps, une image qui déjoue le temps.
Le Stalker d’Andrei Tarkovsky ou Les Oubliés –Los Olvidados- de Luis Buñuel ; des personnages en quête spirituelle mis en scène dans des situations imminentes et des atmosphères inquiétantes, fonctionnant dans l’œuvre de Nabil Saouabi comme préfiguration en inframince de moments et d’instants cinématographiques dans une esthétique picturale.
La transposition des notions de séquence et de plan emprunté au registre du cinéma, manœuvre autrement dans la peinture.
La succession de onze cadres abolit la chronologie et privilégie le moment, l’instant, établissant une culmination d’indices et de signes qui font de chaque cadre /plan/peinture à la fois une unité propre et une partie du tout, qui communiquent plastiquement avec les autres par la lumière, par la couleur ou par le sujet. Les quatre éléments, eau, feu, air et terre, instrument de l’univers cinématographique de Tarkovsky sont ainsi présents dans les scénographies du peintre comme « vibration souterraine » selon l’expression du cinéaste.
Le vieillard aveugle à terre de Buñuel se fait attaquer, persécuter autant par les jeunes que par les pigeons, sous le regard omniprésent de Lorca. Une image bouleversante et saisissante qui s’esquisse encore en inframince et qui exagère l’expression de l’image du film.
La peinture dessine et creuse dans la mémoire et projette la flèche du temps hors du temps.
L’expression se miroite jusque dans les habits, les ailes et l’indifférence des pigeons.
Sur un fond noir, sombre, qui appartient autant au cinéma qu’à la peinture…
L’originel écran noir d’avant la lumière, avant le commencement, accueille dans la peinture toute la détresse existentielle des personnages, le noir comme synthèse de toutes les couleurs accueille chaleureusement les gris qui s’envolent avec les pigeons, les gris de Lorca, le rouge de la veste du jeune homme à l’image d’un toréador.
Buñuel est là mais pas que par ses personnages pas que par l’image, il est là par l’esprit, par le souffle, par émanation.
Une vraie obsession pour le peintre… outrepassé par le génie de ces cinéastes, et dans un désir acharné il participe, les ressuscite, les réexpose à la lumière, tisse son propre discours dans la trame criblée de ces registres.
Au delà du cinéma, la peinture de Nabil Saouabi établit des rencontres dans d’autres sphères.
La dimension spirituelle n’est pas que dans le corps de la peinture, elle réside dans le souci et dans le désir du peintre de mener une quête de sens et de sensations dans son expression.
Il s’agit de sa propre rencontre avec le Stalker ou avec le vieillard aveugle de Buñuel …
Le peintre s’exhorte dans une scène du film aux côtés de Stalker et de ses compagnons dans la « Zone », une zone incertaine, comminatoire, investie par la menace…Mais Au Diable la menace !
Le halo de lumière entourant les plantes au premier plan et les personnages au second plan continuent de rayonner de lumière douce ou radioactive ; qu’importe, le chemin reste à faire… La peinture est le chemin et la rencontre.
Poser, composer, agencer, refaire, questionner, disposer, effacer, recadrer, mélanger, le peintre cherche, fouine, interroge, prospecte la mémoire du cinéma et de la peinture.
Le temps est scellé du pin-sceau du peintre.
Un temps figé mais volatile, indomptable pour devenir une expérience esthétique traversée par des dimensions au delà du tableau.
Myriam Aouni, Avril 2019 , Artiste, enseignante à l’ISBAT